Ça y est le
grand départ est programmé pour le dimanche 30 septembre 2012. J'ai
acheté mon billet hier dans la nuit après de multiples problèmes
de carte bleue, de payement et de réservation sur des sites internet
inefficaces ou trop complexes pour moi. Une fois la réservation
confirmée par mail j'ai senti comme un nœud dans la gorge et un
poids dans le thorax. J'ai lutté pour ne pas trop laisser s’échapper
de larmes. Cette si folle aventure a commencé le 6 octobre 2010.
Deux années entières. Enfin, presque. Mais à 6 jours près, on va
pas chipoter. La voilà bientôt terminée officiellement et rien ni
personne ne m'arrêtera car je n'ai pas prix d'assurance annulation.
Je suis partie en furie ce soir à 11h
passé sous la pluie battante du climat tropical de Playa m'acheter
du chocolat (suffisent à une lente et douloureuse agonie pour un
diabétique). Heureuse comme une bipolaire en phase d'euphorie, la
banane au lèvres et trempée jusqu'à la moelle je me suis promis au
moins de commencer la rédaction de cet article ce soir. Et comme
aucun de mes articles n'a été rédigé sans chocolats et
sucreries à côté (un peu comme pendant les épreuves du bac) je ne
peux pas faire entorse à cette si délicieuse tradition. J'ai déjà
terminés tous les Rafaello noix de coco pour ces deux paragraphes.
Je crois que le Mexique m'a rendu accroc. Mais bon j'ai de quoi
tenir : Fererro Rocher, Kinder Bueno, un Kitkat et une sorte de
Bounty qui s'appelle Almond Joy. Bonjour la cellulite! Mais je m'en
fous, j'ai 23 ans, je me sens belle, jeune et en plus je suis
trilingue (oui je sais ça n'a rien à voir) alors ce soir c'est
orgie de chocolat.
Bon, je suis allé chercher mon petit
livret dans lequel je note tout ce que j'ai pu vous raconter
jusque-là : un peu comme les Pensées de Pascal mais en moins
chiant. Bizarrement toutes mes pensées dans ce carnet sont
automatiquement notées et répertoriées dès leur rédaction en
ordre selon les thèmes à aborder, leur importance dans l'article et
bien sur toujours suivies d'exemples tirés de ma vie et de mes
expériences sur le terrain mexicain. On reconnaît là la patte de
l'éducation nationale française enseignée à tous les lycéens en
filière L. Mais bon parlons du plus important et ne dérivons pas
sur des sujets tels que dois-je éteindre le ventilateur du plafond
pour pouvoir manger les miettes de noix de coco des Rafaello laissées
sur ma table sans qu'elles soient éparpillées dans tout
l’appartement ou ne pas me laisser mourir de chaud en écrivant cet
article mais en faisant une croix sur ces si délicieux petits
morceaux tombés du paquet ?
Allez oublions les Rafaello et prenons un
KitKat!
Le premier sujet à aborder est celui
des élections (présidentielles) oui parce que les législatives
tout le monde s'en fout, même moi je suis pas trop sure de savoir à
quoi elles servent. Mais bon je vote quand même parce que malgré
mes grossièretés et mes fautes d'orthographe j'ai été bien
éduquée. Le résultat en lui-même de qui a gagné n'est pas le
point que je souhaiterais traiter. Lorsque ma mère qui a procuration
m'a demandé pour qui j'aimerai voter j'ai réfléchi un instant à
mon vote de cœur (le candidat qui me plaît le plus) et à mon vote
stratégique (celui que je veux surtout ne pas voir au pouvoir) j'ai
été saisi d'un doute et d'une angoisse puis d'une stratégie
nouvelle. Et si elle arrive au second tour cette petite Marine je
fais quoi ? Certes elle n'y est pas parvenue mais arrivée 4ème
j'appelle pas ça une victoire non plus. La candidate en elle-même
ne m'est pas dépourvu de sympathie, ce sont ses électeurs qui m'ont
marqué. J'ai du mal à croire que des gens de ma culture et de mon
pays puissent avoir de telles idées et une telle ambition. Après
deux ans dans ce pays suis-je donc si loin de mes compatriotes que je
ne les reconnais plus ? Mon amour pour le Mexique, mon désir et
ma volonté de m'intégrer à sa culture et à ses gens serait-il
parti si loin que je ne suis plus aussi digne de posséder un
passeport français ?
J'ai eu au cours de ces derniers 5 mois
la preuve que la réponse est non. Enfin presque. Mon travail au
quotidien pour faire court est de vendre des maillots de bain pour
femmes plutôt coûteux. Je reçois tous les jours des clients de
tous les pays : États-Unis, Canada, Amérique du Sud, Europe,
Israël, Russie, Japon, Australie et j'en passe. Mon approche au
client est très importante dû au fait que ma vente en dépend
principalement et vu que je suis payée à la commission, mon estomac
en dépend également. La première chose que je tente de savoir est
de quel pays vient chaque client car l'approche est très différente
pour chaque nationalité. Les américains par exemple sont faciles à
repérer : coups de soleil façon elle vient de repeindre sa
maison en rose bonbon et me dit à peine bonjour lorsque je la salue
d'un sympathique et souriant « Hola ! ». Bref, à
chaque nationalité son lot de stéréotypes et clichés. Les
français sont pour moi les plus difficiles à reconnaître :
souvent très ressemblants aux italiens et au portugais. Mais il en
existe une catégorie que je reconnais automatiquement non pas par
des clichés et ou par mes analyses de marques de vêtements, de
style vestimentaire ou de silhouette corporelle. Non, il y en a
certains qui je reconnais par ce sentiment qu'on a à reconnaître un
des siens dans une tribu d'inconnus. Je ne saurais expliquer ce
sentiment, cette sensation dans ma tête qui ne me dit non pas :
« celui-là il est français » mais « celui-là il
est de chez moi ». Et là j'y trouve une joie de fraternité et
de patriotisme. Comme si de je ne sais quelle façon j'étais liée à
eux alors que je ne les connais même pas. Ces gens-là, ce sont les
noirs et les arabes de France. Du moins du 93 et du 91 et des
alentours de Paris. Bon sang je les reconnais comme s’ils étaient
mes frères ces banlieusards de Paris. Ils entrent dans la boutique
et sans même avoir besoin de dire un mot je leur dis fièrement :
« vous êtes français vous ! ».
Alors non, je ne
pense pas avoir perdu ma connexion à mon pays natal et à ses
habitants. J'ai beau prendre soin de travailler à mon intégration
au Mexique, je ne peux pas nier ce lien si fort avec la France et
avec mes compatriotes. Un peu comme dans une chanson de Diam's « Ma
France à moi » (et là, beaucoup d'entre vous penseront « oh
la hooooonte elle écoute Diam's!) je ressens ce sentiment en
générale, je l'ai ressenti pendant les élections et le ressens à
chaque visite d'un de mes compatriotes du 9-3.
Qui l'aurait cru ? Je reconnais
mon peuple dans les yeux et le visage de descendants maliens,
sénégalais, ivoiriens, marocains, algériens et tunisiens et j'en
suis fière. Je suis fière de cette ironie du sort, cette leçon de
morale et de vie à tous ceux qui n'acceptent pas la différence.
La différence.
Je continue cet article une semaine
plus tard. La pluie s'est arrêtée pour faire place au soleil et à
une chaleur presque insoutenable et je ne peux pas me jeter dans la
mer pour soulager cette étouffement constant. Je me suis tatouée
pour la 6ème fois. Je me suis tatouée la différence. Un peu au
dessus du sein presque sur l'épaule en dessous de la clavicule
gauche, pour le symbolisme de l'endroit, comme un badge sur le cœur
et pour que tout le monde puisse le voir. J'avais déjà fait fort
avec le monde sur le haut du dos, me voilà désormais marqué du
signe du handicap sur le devant du corps. Pour protester, pour faire
penser et puis pour déranger un peu aussi. Cette nouvelle marque ne
passe pas inaperçu et suscite de vives réactions des passants. Mais
pourquoi donc se faire tatouer un petit bonhomme en chaise roulante ?
C'est par compassion ? Empathie ? C'est parce que la vie
des ces personnes-là te touchent ? me demande certains dans la
rue. C'est pour faire penser je leur réponds.
Malgré l'amour fraternel
que je porte à mon autiste de frère, il n'est pas la grande raison
à cette marque indélébile même si connaître le handicap et
l'avoir vécu tous les jours en est sûrement pour quelque chose. Là
ou notre constitution clame que tous les êtres humains naissent
libre et égaux en droits, cette même société imposent ses codes
si complexes et inhumains qui rendent la différence et l'égalité
entre chaque citoyen aussi vaste et diverse que les thèmes
intellectuels abordés dans Secret Story.
Pour elles aussi je me suis
tatouée. Parce quand on est trop grosse ou trop maigre, trop grande
ou trop petite on peut parfois être aussi handicapée dans la vie
qu'un petit bonhomme en chaise roulante. Comme s'il fallait qu'on
naisse tous pareils, comme des machines. Mais il n'existe rien de tel
que des hommes machines. Tous les hommes et les femmes sont fait
différemment à l'inverse des machines. Ils ne sont pas tous
pareils, tous parfaits, ils sont différents. Un ADN différent, des
couleurs différentes, des corps différents. L'handicapé ou le fou
ne fait pas exception. Tel un phare ils nous montrent le chemin. Il
s'agit de respect, il s'agit de tolérance, il s'agit de nous étant
différents. Et c'est ce qui fait que notre race, la race humaine,
soit si spéciale. Ce qui semblaient être un erreur de la nature est
ce qui nous rend si spéciaux.
Après avoir vu le handicap
de mon frère, le handicap de mes amis jugés trop noirs trop arabes
ou trop musulmans, des femmes jugées trop grosses, trop vielles ou
trop putes, j'en ai vu l'impact sur leur personne, leur estime a
travers les pays. Leurs différences et leurs hontes m'ont touché et
m'ont appris à m'aimer moi-même telle que je suis et j'aimerais
leur rendre la pareille. Cet article est peut-être le dernier de ce
blog et de cette histoire. J'étais partie penser ce à quoi ma vie
rimait et à quoi allait ressembler mon destin. Je m'étais donné un
an pour cela, en voilà déjà deux. J'en suis arrivé à un stade ou
comme je le disais je souhaiterais rendre la pareille à tous ceux
qui à travers leur différence et leur honte m'ont appris. J'ai
pensé retourner à l'université étudier l'ethnopsychologie un
étrange mélange de psychologie et d’ethnologie car je pense avoir
le background, l'envie et l’expérience pour le faire. Cette
dernière idée reste dans le projet, j'ai toujours tenu un fort
mépris et une haine sans nom pour le système académique (français
en général) il ne serait pas surprenant que de moi que je faillisse dans
cette dernière entreprise si réellement je pousse cette dernière à
sa réalisation. Mais comme m'a dit un ami (psychologue d'ailleurs)
je semble être de ces « self made persons. ».
Je vous dis à dieu sur ces
derniers mots. On se retrouvera en octobre en face à face. Mes
aventures continueront je vous le promets dans un autre pays et dans
une autre langue, si Dieu le veut comme on dit si bien chez nous, en
France.