12 juin, 2011

Le paradoxe des soeurs siamoises

Quelques jours à peine après avoir publié mon dernier article me voilà déjà entrain d'en écrire un nouveau. Bon sang que c'est bon d'avoir du temps libre et de revoir ses amis. J'en avais oublié à quel point c'était magique. Depuis plusieurs jours je rêvasse à la fenêtre du van qui me transporte de Playa à Puerto sur les divers sujets que je souhaite aborder dans chacun de mes articles tout en me disant que cela ne fait même pas une semaine depuis mes derniers écrits...il me reste encore du temps. Alors je me rappelle les mois précédents durant lesquels j'écrivais tous les jours ou presque. Me revoilà inspirée et libérée pour en revenir à ces aventures que vous suiviez assidûment pour certains et de manière plus aléatoire pour d'autres. C'est y est, enfin j'ai changé de métier et ça me change la vie. Mais laissez-moi donc vous raconter le paradoxe des sœurs siamoises.

Concierge ? oui c'est comme ça que ça s'appelle ce que je fais. Non ça n'a rien à voir avec celles qu'on connaît dans ces luxueux appartements à Paris. Je suis dans les relations publiques. A la base mon travail est plutôt simple. Je dois répondre aux questions des clients de l'hôtel que ce soit en face à face, au téléphone ou bien par mail. Je dois aussi faire des réservations pour eux dans des restaurants, et des clubs en tout genre. Je dois faire face à leurs plaintes de bébés capricieux et pourrie-gâtés pour certains. Je suis à la fois maman, nourrice, meilleure amie et esclave des clients. Mon travail consiste aussi à rentrer tous les questionnaires de satisfaction dans l'ordinateur (quand mes adorables maîtres les clients de l'hôtel m'en laisse le temps). Je deviens peu à peu (mais pas sans difficulté) une as de l'ordi, et des programmes de réservations et de payement. Si l'on m'avait dit un jour que je serai en mesure de comprendre ces écrans remplis de fenêtres aux formes et aux couleurs austères ou s'alignent lettres et numéro signifiant des abréviations en tout genre et plus de ça en espagnol jamais je ne l'aurais cru. Et pourtant si ! Certes le protocole des payements me dépasse encore un peu mais vous comprenez c'est qu'il faut d'abord que je facture les dépenses sur le compte du client, puis que je fasse un suivi s'il m'a payé, puis que je fasse « arquer » les mouvements d'argent du client, puis que je réalise une transaction et enfin d'imprimer les factures pour les archives : vous savez ces factures donc les lettres sont écrites en tout petit en violet sur du papier blanc avec des chiffres et des lettres de partout...et ben moi je fais ça. A part ça, il est également de ma responsabilité d'envoyer fleurs, fraises et champagne, gâteau, panier de fruits et bouteille de vin à tous les clients réguliers, VIP, ou célébrant leur anniversaire, anniversaire de mariage , et commander une super chambre romantique avec pétales de rose sur le lit et le sol pour les mariages ou juste mariés. La seule chose qui me rapproche du nom de ma fonction c'est que je me dois de savoir tout ce qu'il se fait dans l'hôtel avec qui, quand et comment. En grande commère de service je sais tout et dois être en mesure de tout raconter à tout le monde. Je me dois de savoir le pourcentage d'occupation, le nombre d'arrivées et de départ des clients chaque jour, les activités de la journée, la météo de la semaine, les anniversaires, mariages et célébrations à fêter chaque jour et j'en passe. Pour cela j'ai du apprendre bien des choses et sur le ta. On dit que c'est comme ça qu'on apprend le mieux et je ne peux être plus d'accord. La seule chose est que mon premier jour en solitaire à mon bureau fut le jour le plus occupé et difficile m'a dit ma chef de toute sa carrière dans l’hôtel. Le plus pénible tout de même a été l'apprentissage des programmes complexes en informatiques et des protocoles mis en œuvre dans l'hôtel pour coordonner et organiser des actions qui requièrent le travail d'environs 200 personnes affectées à une vingtaine de postes ou de divisions différents. Je reconnais avoir été prise d'un profond désespoir lors de mes premiers jours de formation devant mon écran. Mais après réflexion j'ai pensé que si ma mère incapable de changer sa photo de profile facebook seule a pu apprendre le même genre de chose à son travail, je pouvais donc moi le faire aussi bien qu'elle. N'empêche qu'elle n'avait pas 150 clients par jour qui venaient lui poser mille questions dont elle ignoraient totalement les réponses ou se plaindre pour mille et une raisons en se moquant éperdument que ce soit son premier jour. Bon, j'ai survécu à ça mais avec étonnement. J'ai développé par la suite cette étrange théorie du paradoxe des sœurs siamoises. Après huit mois de médiation improvisée, à m'extasier sur la nature et ses beautés, à découvrir un nouveau mode de penser et à aiguiser mes sens pour ressentir plus et penser moins, je me jette dans le gueule du loup formateur et carré aux protocoles imparables et improbables. Je me dois de penser comme une machine et de refuser toute émotion et ne peux m'éloigner de la marche à suivre. Je me sens comme divisée, coupé nette en deux de la tête au nombrils en laissant mes deux moitiés de corps attachée l'une à l'autre pas moins que par mon bassin. La partie droite se tient droite et ferme et suit les règles comme elles sont. La partie gauche est gauche oui mais touchante et humaine. Elle est plus ouverte à l’énergie émanant de chacun. Je suis devenue une sœur siamoise à moi toute seule. Un corps mais deux cerveaux.

En retrouvant par hasard mon vieux carnet dans lequel j'écrivais tout lorsque j'avais le temps de vous écrire je suis tombée sur mes notes de toutes mes premières impressions au Mexique. Mon arrivée, mes premiers chilis, mes premiers amants mexicains, mes premières expériences hallucinogènes, mes premiers progrès en espagnol, mes premiers amis, mes premiers coups de blues... Les premières notes datent d'un repas de midi organisé en mon honneur peu de temps avant mon départ où j'ai fait d'ailleurs l’acquisition de ce carnet et de deux autres. On peut voir dessus les adresses e-mails et numéro de téléphones de mes oncles, tantes, cousins, cousines et amis. Peu à peu on arrive aux notes et listes de dernières minutes avant le départ du style brosse à dent, shampoing et traitement antipaludique (dont je n'aurai jamais fait usage). Enfin griffonnées à la va vite des notes sur ce que j'avais à vous raconter à ce moment là qui se sont finalement transformées en de longs paragraphes publiés ici même. Je suis devenue un peu nostalgique sur le moment. J'en ai fait du chemin depuis ces premières notes. J'ai appris l'espagnol, j'ai appris à cuisiner mexicain, je mange maintenant des piments tous les jours, je me suis fait des amis mexicains mais aussi français et belges qui ont été ma famille au Chiapas et qui se reconnaîtrons ici sans problème. J'ai vécu dans les montagnes indigènes à faire du café du miel et des herbes médicinales, j'ai fait face à la misère mexicaine et aux problèmes que cela engendre. J'ai vu les plus belles mers du monde au bleu les plus turquoises. J'ai observé l’impérialisme américain sur le Mexique et je ne sais plus combien vaut un euro en Europe. Les huit mois que j'ai passé ici me paraissent à la fois courts et longs. Court parce que huit mois après tout ce n'est pas beaucoup sur l'échelle d'une vie humaine. Long parce que j'ai tant vécu et appris qu'il me parait impossible de savoir et de continuer d'apprendre en un laps de temps si court. De plus je me sens si loin maintenant de Tzajala, de ce que j'y ai vécu en comparaison avec la vie que je mène maintenant. Il me semble d’emblée qu'on puisse couper ces huit mois en deux parties: les trois mois passé au Chiapas avec les trois autres passé avec Dani puis ces deux dernier dans l'hôtel. Dans la première partie j'ai appris comme je le dis plus haut à écouter, à voir à sentir et à rire. J'ai développé je crois au cours de ces mois mon sens de l'humanité et je m'en sens redevable auprès de ceux que j'ai rencontré et auprès du Mexique en générale. Je marque ici ma relation qui restera toujours privilégiée avec le Mexique comme j'ai marqué cinq ans plus tôt mais sans m'en rendre compte cette fois-là une même relation avec les États-Unis.

Du côté de l'autre sœur siamoise, celle qui s'est développée ces deux derniers mois dans l'hôtel et bien plus profondément ces dix derniers jours comme concierge j'apprends un autre système. C'est presque comme une autre vie, une autre personne que moi. Je côtoie maintenant un autre style de personne. Des gens qui n'ont jamais été dans le besoin, qui ont perdu ce sens de l'humain ou qui ne l'on jamais développé. Dernière mon écran d'ordinateur aux lettres et chiffres sans fin, entre mon téléphone aux mille touches de transfères téléphoniques le combiné vissé à l'oreille, mon tailleur bleu marine et en talons j'aborde des gens à la fois de très haute et très bonne éducation tout comme les plus grossiers et inhumains qu'il soit possible de rencontrer. Il y a quelques semaines alors que j'étais encore animatrice, une collègue du Kid's Club m'a raconté qu'un enfant d'une dizaine d'années est entré dans son bâtiment et a commencé à semer le désordre en jetant tout ce qu'il voyait par-terre. Lorsque celle-ci s'est fâchée et lui a dit d'arrêter, l'enfant lui a répondu Tais-toi! C'est moi qui suis ton patron ici. Si toi tu manges c'est grâce à moi. C'est un bien triste exemple qui montre une réalité de la vie. Le paradoxe des sœurs siamoises c'est universel mais c'est plus dur au Mexique et dans les pays les plus pauvres. Il semble qu'on y trouve toujours la grandeur d'âme, la bonté de l'humain comme le mépris, l’indifférence, la violence et la discrimination dans leurs apparences les plus extrêmes.

Prenons simplement mon lieu de travail qui est je le reconnais agréable et surtout humain si on le compare aux autres hôtels dirigés par des européens ou des américains (mon chef est mexicain, ce qui est très rare dans le coin). Il existe quand même des détails qui frapperaient les yeux de n'importe quelle personne isolée de tous ces maux. A la cantine alors que je mangeais seule j'ai passé comme ça sans réfléchir le regard sur les employés et je me suis rendu compte comme un scientifique crierait Eurêka en découvrant comment créer une machine à voyager dans le temps qu'étrangement les plus bronzés et plus petits de taille (les plus proches des mayas) étaient affectés aux poste de jardiniers, de femmes de chambre et de nettoyeurs. Tous ceux au tailleur bleu marine comme le mien ou au costards les plus élégant étaient grands et au traits beaucoup européens. Je ne m'en étais jamais aperçu. Pour moi, quoi qu'il arrive, les mexicains seront toujours plus foncé que moi. Je ne faisais pas de distinction entre ceux qui sont foncés de peau et ceux qui le sont encore plus. Il m'aura fallu presque deux mois pour voir la différence. Comme quoi je suis loin d'être étrangère à ce mode de penser. Ou bien peut-être aurai-je oublié ? Je m'étais déjà demandé si on pouvait s'habituer à la misère. Mais je n'aurais pas pensé qu'on pouvais oublier aussi facilement comment penser autrement que dans un monde dont les codes sociaux sont aussi racistes. Peut-être alors existe-t-il une façon de vivre meilleure que la notre mais qu'absorbés comme nous le somme dans un monde, une société et une violence dont nous nous somme habitués, nous ne parvenons pas à voir les choses sous un autre jour. Si une personne comme moi dont l'éducation a été de se révolter chaque fois que les droits humains sont remis en cause ou piétinés a pu perdre conscience qu'elle vit dans un monde aussi raciste, alors qu'en est-il du reste de l'humanité dont une minorité seulement sait lire et écrire et est suffisamment éduquée pour se poser ce genre de question ? Et ça fait d'autant plus froid dans le dos de se dire que ça fait depuis des millénaires qu'on est bloqué là dedans.
Je peux aussi continuer avec les exemples suivants d'une société de classe qui me semble injuste. Nous touchons tous deux fois par mois notre pourboire inclus à la note des clients de l'hôtel. Pourquoi celui des concierges est-il plus élevé que celui des animateurs ? Et s'il est plus élevé que celui des animateurs alors j'imagine que celui des femmes de chambre par exemple est bien plus bas. L'exemple des toilettes est aussi intéressant, en tant que concierge, je partage les toilettes avec les réceptionnistes et les chefs. La décoration y est nettement différente de celle des employés en cuisine, nettoyage et jardinage. Nous bénéficions de chasse d'eau et robinet à détecteur de mouvements, un sol et des mur effet marbré blanc et rouge. Les autres employés eux ont du carrelage blanc bas de gamme, des murs peints en blanc et des robinets non automatiques qui, depuis que je travaille à l'hôtel fuient et sont donc responsables de flacs d'eau glissantes et dangereuses sur le carrelage.

Parlant de discrimination et de racisme j'ai eu l'opportunité d'être confrontée au point de vu américain et mexicain. Alors qu'une famille d'afro américains était en vacances sur mon lieu de travail une des vendeuse de cigares Leti, ma maman mexicaine comme je me plais à l'appeler a appelé l'un d'entre eux « chocolatito » petit chocolat pour ceux qui ont pris allemand au collège. Leti m'a avoué avoir un penchant pour les noirs. Elles aime les hommes à la peau foncé et particulièrement les noirs. Elle est bien malheureuse ici m'a-t-elle dit car des noirs il y en a pas beaucoup au Mexique bien que la plupart des gens aie la peau foncé ils ne sont pas exactement noirs et n'ont ni le corps ni les traits afro. De là, la grand-mère de la famille afro américaine m'a dit, non pas méchamment mais suffisamment claire qu'il était très mal vu par la communauté noire de les appeler chocolat car, selon la culture, cela veut dire pour eux que tout ce que nous voyons d'eux c'est leur couleur et rien de plus. Je comprend son point mais au Mexique il est en autrement. Je pense que j'adhérais déjà à ce mode de penser avant et j'en fais d'autant plus partie maintenant après ces enseignements à voir en chacun la beauté de Dieu même. Je n'ai jamais pu partager mon point de vue avec cette grand-mère de l'état de Georgia mais voyez-vous au Mexique on met souvent en avant le physique des gens. On m'appelle la petite blanche comme on appelle les noirs petit chocolat ou petit noir mais cela n'a rien de discriminant. Au contraire il met en avant l'acceptation de la différence. Nous ne voyons pas la couleur comme une marque de différence qui met en avant son titre et sa classe sociale dans le monde. Il n'y a pas de supériorité ni d’infériorité dans les couleurs. La variété des couleurs de peaux dans ce monde est un fait et nous l'acceptons comme une beauté vraie, une différence et une grandeur de l'humain. Au Mexique je vous ai dit que j'ai appris à aiguiser mes sens, à sentir et ressentir la bonté et le beau de chacun, cela en fait partie. Je ne me sentirai plus mal à l'aise à l'idée de parler de la couleur de peau d'un autre. Je ne m'abaisserai plus à ce tabou d'un passé trop lourd et trop violent qu'on voudrait oublier mais qui reste trop marquant pour le laisser s'abandonner dans nos mémoire. Je veux aller de l'avant et ne pas me laisser influencer par l'horreur de l'esclavage et de l'exploitation de l'Homme par Homme. En tant que femme je penser être de ceux qui comprendront le mieux les répercutions de l'esclavage sur la communauté noire du monde entier puisque mes sœurs à travers le monde sont encore victimes de cette abomination. Je peux simplement dire aujourd'hui qu'après ces huit mois au Mexique je ne verrai plus jamais mes amies de primaire et collègue Fatoumata ou Alimata de la même façon. Leur beauté noire leur donne une image de reine africaine. Je n'ai jamais observé leur couleur comme une différence ou une barrière, elle est une beauté, une force, un don de Dieu pour l'humanité. Ne gardons pas les lèvres celées lors que nous abordons la couleur de chacun. Ne baissons pas les yeux de honte et de malaise. Ne la refusons pas, acceptons-là, élevons-là car elle fait partie de notre richesse d'hommes et de femmes.

4 commentaires:

  1. J'aime beaucoup cet article Pétra!
    Continue comme ça, je t'envie !!!! :D
    Ça me manque toutes nos aventures ...
    Gros bisous
    Vanessa

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  2. Un bel article =)
    Très agréable de te lire.

    Bisous
    Rémi

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  3. C'est vrai qu'il est courant en Amérique Latine de donner des surnoms en rapport au physique: "flaca", "rubio", "negra"...ce n'est pas discriminant dans tous les cas, mais une façon de caractériser avec amour ces personnes. Après tout ma soeur m'appelle "mi gordita" ^^ (et moi je l'appelait Moctezuma hahaha).
    Si cette américaine était gênée, ce devait être dû à des valeurs différentes...à vouloir paraître plus tolérants ils en deviennent plus coincés. Ce n'est que mon avis.
    J'écoute cette chanson qui me plaît beaucoup, je te la dédie: http://www.youtube.com/watch?v=onAq58mIsNc

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